Les récentes données sur l’emploi au Québec ont de quoi alarmer la classe ouvrière, les masses populaires, les militant-es progressistes et syndicaux d’un danger imminent de de récession, pour ne pas dire de dépression économique qui aura tôt fait de s’en prendre à nos conditions de vie et de travail.
À l’opposé de la presse bourgeoise qui nous présente toute croissance des titres boursiers comme un exemple d’une économie en santé (alors que la volatilité des marchés n’est plus à prouver) et contrairement à nos gouvernements qui nous font croire que l’économie sera au beau fixe une fois la pandémie terminée, les indicateurs économiques réels témoignent d’une situation tout à fait différente.
En effet, on apprenait récemment que plus de 200 000 emplois ont été perdus au Québec durant l’année 2020, une perte inégalée depuis que l’Institut de la statistique du Québec compile ces données socio-économiques, soit depuis 1976. Cette perte survient malgré une soi-disant « reprise » qui aurait suivi la 1e vague de la pandémie de COVID19 et malgré tous les investissements du gouvernement Trudeau dirigés soit à aider les entreprises ou à injecter des liquidités dans le circuit économique. Alors que nous sommes bien engagés dans un deuxième confinement, tout porte à croire que la reprise ne sera pas pour tout de suite.
Elle survient aussi alors que les plus riches voient leur fortune croitre malgré ou grâce à la pandémie, ce qui devrait remettre en perspective l’affirmation selon laquelle les bénéficiaires de la PCU seraient des « privilégié-es ».
Pour l’année 2020, le taux de chômage au Québec se situe à 8,8%, une moyenne légèrement plus basse que pour le reste du Canada. En décembre, ce taux aurait baissé jusqu’à atteindre 6,7%. Or, le taux de chômage ne représente que la point de l’iceberg puisqu’il ne tient compte que de la proportion de personnes privées d’emploi en relation avec la population active (soit la population qui occupe un emploi). Si on se penche sur le taux d’activité cependant, on aperçoit que celui-ci s’est contracté de 0,6% pour atteindre environ 64%. Autrement dit, 36% de la population en âge de travailler est inoccupée et a abandonné toute recherche d’emploi. En outre, ces nombres ne font pas la distinction entre emplois précaires ou à temps partiel d’une part, ou à temps plein de l’autre.
Cette statistique indique clairement que l’économie québécoise est loin d’être en santé. Peu importe les truchements que les boursicoteurs et spéculateurs peuvent inventer, il reste que tant que l’activité productive, l’emploi ne seront pas restaurés et ne joueront pas une part plus importante dans notre activité économique globale, le danger de récession sera de plus en plus important.
En attendant, les chiffres sur l’emploi montrent que seul le secteur public a su se dérober de la tendance générale puisque 3100 emplois y ont été créés dans la fonction publique, tandis que le privé est déficitaire. Ces chiffres prouvent à quel point le secteur public est le plus à même, en période de crise, à garantir une sécurité d’emploi pour les travailleur-euses.
Quant aux pertes, sans surprise aucune, c’est le secteur du tourisme qui est, de loin, le plus touché avec 64 000 emplois perdus. Cependant, il est intéressant de noter qu’il est suivi, en bon second, du secteur de la fabrication (donc manufacturier) où 23 600 emplois ont été perdus. À ce chiffre, s’ajoute la perte de 21 000 emplois dans la catégorie “services aux entreprises” ce qui, pour une bonne partie, correspond à la sous-traitance, donc une partie de ces pertes sont induites par les pertes d’emplois dans le secteur manufacturier.
En troisième position, encore sans surprise, la culture et les loisirs qui perd 20 900 emplois. Fait intéressant à noter, les pertes de chiffre d’affaires dans ce dernier secteur s’élèvent à 31%, soit plus encore que l’industrie automobile ou touristique, ce qui en fait un des plus touchés par cette pandémie.
Enfin, il est curieux de noter que le secteur des soins de santé et de l’assistance sociale est également déficitaire, malgré la période de pandémie, de plus de 11 000 emplois et ce, malgré l’embauche et la formation de 10 000 préposés aux bénéficiaires.
Que peut-on conclure de ces chiffres? Outre les observations susmentionnées, on peut souligner d’emblée que pratiquement tous les secteurs sont touchés par ce ralentissement sans précédent de l’activité économique, ce qui, en plus du danger de récession, laisse présager une concentration à outrance du capital dans un nombre de mains de plus en plus restreint. C’est d’ailleurs ce que les plus récentes données au sujet des plus grandes fortunes nous montrent.
Cependant, il est un autre point saillant lorsque l’on analyse ces données. En effet, tous les secteurs économiques ne subissent pas le même impact. Parmi les plus touchés (outre l’industrie touristique qui, historiquement, se remet rapidement des contrecoups économiques), on compte la culture et le secteur de production (manufacturier), soit deux secteurs à forte valeur ajoutée et générateurs d’emplois induits. Si on fait abstraction des pertes d’emploi dans le secteur touristique, plus du quart des emplois perdus le sont dans ces deux secteurs.
Ainsi, ces deux secteurs sont non seulement plus vulnérables à la concentration du capital, mais aussi à leur domination par des multinationales, états-uniennes en particulier, mais aussi européennes, comme on a pu le voir dernièrement avec la braderie de la Série C de Bombardier au profit d’Airbus. Notons à titre d’exemple la récente perte de 5000 emplois dont la moitié au Québec chez Bombardier et ce, malgré des milliards d’aides publiques. En ce qui concerne le secteur manufacturier et secondaire, ce danger s’accompagne de la menace de délocalisation d’emplois, sans compter que c’est bien souvent dans ce secteur que le mouvement syndical a pu, historiquement, gagner d’importantes batailles qui pèsent pour beaucoup dans les différentes conquêtes sociales dont nous bénéficions. Autrement dit, la classe dirigeante utilisera la pandémie pour s’attaquer à l’un des secteurs les plus féconds en termes de lutte et qui, historiquement, a servi d’incubateur à la conscience de classe.
Si on lit entre les lignes, on comprend donc que la pandémie servira de prétexte pour pousser un peu plus loin dans le démantèlement des secteurs économiques productifs ou qui jouent un rôle important dans l’épanouissement culturel de la population, ce qui n’est pas à négliger. Le Québec comme le reste du Canada sont déjà engagés sur cette pente depuis plusieurs décennies, soit depuis la signature des différents traités de libre-échange, à commencer par le traité avec les États-Unis et le Canada à la fin des années 1980.
De ce constat, il n’est pas difficile de comprendre que le plan à long terme des grands monopoles et de la classe dirigeante est de rendre l’économie québécoise plus rentière (donc financiarisée et détachée d’activités productives) et plus dépendante des trusts transnationaux et des soubresauts de l’économie mondiale. Mais il y a pire : cette tertiairisation (entendre ici « rentiarisation ») de l’économie ne présage pas seulement la précarisation et l’ubérisation de l’économie, mais aussi et surtout d’une dépendance de plus en plus forte avec l’économie états-unienne, c’est-à-dire avec l’impérialisme états-unien. Il serait totalement erroné qu’une telle intégration accrue entre monopoles canadiens (donc québécois par conséquent) et états-uniens ne serait pas suivis par une intégration des politiques étrangères entre les deux pays, politiques bellicistes et va-t’en-guerre.
Ce n’est cependant pas une fatalité pour peu que l’on s’engage dans une sortie de crise basée sur la création d’emplois, ce qui nécessitera sans aucun doute une sortie des accords dits de libre-échange et un investissement public dans les activités productives les plus nécessaires à la relance économique. Cependant, ces investissements ne peuvent prendre la forme d’argent public injecté pour venir en aide aux compagnies privées. Nous devons rompre avec ce modèle qui ne fait que transformer l’argent public en capitaux privés au profit des monopoles. Pour toute somme publique injectée, une prise de participation publique est nécessaire. Pour ce qui est des secteurs-clé et des grandes entreprises, une mise sous contrôle public et démocratique s’impose.
En plus de dérober le contrôle de notre économie des intérêts privés, cette mesure a pour avantage de mieux garantir des emplois stables et de meilleures conditions de travail. Comme les statistiques sur l’emploi en 2020 le montrent, c’est le secteur public qui est le plus à même de résister, en particulier en temps de crise, à la tendance aux mises à pied.
Ces chiffres nous donnent donc un aperçu de ce à quoi ressemblera l’après-COVID si rien n’est fait. Dans tous les secteurs, la concentration du capital s’accroitra et donnera la part belle aux grands monopoles. Ceux-ci feront main basse sur les petites entreprises et les commerces de proximité seront livrés sur plateau d’argent aux grandes surfaces. La précarisation, l’ubérisation de l’économie seront la norme et ce, au grand bonheur du patronat qui s’en servira afin de mieux atomiser les travailleur-euses, les mettre en compétition les uns aux autres et les désorganiser. Le télétravail, vanté aux quatre vents, servira le même dessein en plus d’intensifier les cadences de travail et de déposséder un peu plus les travailleur-euses des fruits de leur labeur. La dépendance envers des trusts et monopoles contrôlés majoritairement par les États-Unis forceront les représentant-es de la bourgeoisie canadienne à s’intégrer de plus en plus politiquement et économiquement aux États-Unis, ce qui fait planer plus que jamais le spectre du fascisme et de la guerre pour la classe ouvrière, la jeunesse et les masses laborieuses; mais aussi de profits mirobolants pour la caste monopoliste.