Le Parti communiste du Québec (PCQ-PCC) considère le projet de loi 96 présenté à la fin du mois de mai dernier comme une manœuvre politicienne de la CAQ inutile et porteuse de divisions dont le but réel est d’occulter les enjeux fondamentaux de la classe ouvrière et d’amener le débat sur un terrain dont la CAQ pourrait tirer profit. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si le dépôt de ce projet de loi a été reporté à maintes reprises et que François Legault a déclaré vouloir un débat sur cette question à l’automne, soit un an à peine avant les prochaines élections.
En effet, avec 46% d’appui envers la CAQ et plus de 50% envers François Legault selon les derniers sondages, force est de constater que la complaisance médiatique et l’absence d’opposition parlementaire de fond aux politiques gouvernementales sous prétexte de pandémie ont été hautement bénéfiques au parti au pouvoir. Or, avec la campagne de vaccination et la fin prochaine de l’urgence sanitaire, Legault et son gouvernement ne pourront plus compter sur les points de presse quotidiens pour faire passer leur message.
Du reste, compte-tenu de la gestion catastrophique de cette pandémie par le gouvernement CAQ qui a eu pour leitmotiv de toujours prioriser les profits capitalistes sur la santé des travailleur-euses, il ne fait aucun doute qu’après les faits, sa gestion risque de faire les frais de critiques. De même, certaines mesures anti-populaires dont la Loi 59 visant à démanteler notre système de prévention et de santé et sécurité au travail, des sorties ubuesques niant l’existence d’une crise du logement, la divulgation d’informations mensongères quant aux offres patronales dans le cadre des négociations du secteur public risquent de refaire surface.
Dans ce contexte, auquel il nous faut ajouter qu’une fois la pandémie sous contrôle, la crise économique qu’elle a induite ne sera pas pour autant résolue et que la classe dirigeante s’affairera à nous en faire porter le fardeau, la CAQ a besoin d’un échappatoire afin de mobiliser sa base électorale et maintenir sa popularité électorale.
C’est alors qu’intervient la Loi 96 visant à revisiter et renforcer la Loi 101. En ouvrant l’épineuse question linguistique, la CAQ essaie de forcer un débat identitaire où elle sortira comme champion de la défense du Québec. Question nationale oblige, ce genre de débat comme on a pu le voir avec la Loi 21 finit par polariser les esprits entre ceux et celles qui sont « pour » cette vision étriquée et réactionnaire de la défense du Québec et ceux qui sont « contre » le Québec.
Communistes, nous réaffirmons notre attachement à la langue française et à la culture québécoise. Nous sommes également conscients que le statut du français au Québec soit relativement précaire. Cependant, nous observons que les mesures que propose le projet de loi 96 ne s’attaquent pas aux racines du problème.
Ainsi, au lieu de vouloir ouvrir le débat autour de l’application de la Loi 101 aux CEGEPs, de l’étendre aux entreprises de 25 employés et plus (au lieu de 50), nous sommes convaincus qu’un gouvernement qui réellement aurait à coeur la défense de la langue française et de la culture québécoise commencerait par réinvestir dans le secteur culturel et se doterait d’une série de politiques visant à en démocratiser l’accès, de même qu’à en finir avec la précarité des artistes et des travailleur-euses de ce milieu.
Dans le même ordre d’idées, défendre le français passe par un programme de francisation adéquat. Si on peut saluer que le gouvernement CAQ propose l’instauration d’un guichet unique, proposition qui fait écho aux recommandations de la Vérificatrice générale en 2005, on ne peut que déplorer le fait que cette mesure soit conditionnelle à l’adoption de la Loi 96. De plus, en termes de francisation, force est de constater que malgré les 70 millions investis en 2019, les programmes de francisations souffrent de sous-financement en plus d’être, pour la plupart, offerts par des organismes communautaires plutôt que par un service public d’éducation.
Outre la francisation, l’accès à l’éducation représente un élément important pour les personnes migrantes qui tentent de développer leurs compétences en français. En ce sens, l’accès à la formation continue joue un rôle primordial. Or, lorsque l’on sait que dans le cadre des négociations du secteur public, l’offre gouvernementale aux professeur-es de la formation continue maintient leur rémunération à 50% de celle de leurs collègues du régulier, force est de constater que pour la CAQ, il ne s’agit pas d’une priorité.
Quant aux lieux de travail, nous sommes convaincus que la défense du français comme langue de travail commune passe, comme tous les droits des salarié-es, par un renforcement des droits syndicaux, y compris du droit de grève en toutes circonstances. Or, lorsqu’on sait que François Legault lui-même a pris position pour le patronat dans le lock-out de l’aluminerie de Bécancour et que l’on connaît son aversion envers les syndicats, il ne fait aucun doute que des mesures abondant dans ce sens soient à l’ordre du jour.
À l’inverse, si l’intégration en milieu de travail, et à plus forte raison dans la fonction publique, représente un élément important dans l’utilisation du français au quotidien, la Loi 21 qui empêche l’accès à la fonction publique aux femmes voilées ne fait que renforcer leur isolement et porte préjudice à leur apprentissage du français…
Enfin, la principale menace du français au Québec ne vient pas des personnes migrantes non-francophones. Elle ne vient pas non plus du fait que certains étudiant-es choisissent d’effectuer leur CEGEP en anglais. Elle vient de l’intégration sans cesse plus marquée de notre économie à celle des États-Unis, à la braderie de nos secteurs-clés économiques à des entreprises transnationales. Ce phénomène est en conséquence directe de décennies passées sous le joug d’accords dits de libre-échange. Or, pour Legault et la CAQ, il n’est aucunement question d’en sortir ni de nationaliser les secteurs-clés de l’économie et de s’assurer de leur contrôle démocratique.
Dans le contexte des années 1960 – 1970 où la minorité anglophone tenait la majorité des leviers économiques et imposait sa langue dans pratiquement toutes les sphères de la société, la question linguistique était au coeur de la lutte pour les droits nationaux du Québec. Aujourd’hui, alors que le patronat québécois est majoritairement francophone et que le français est, dans les faits, la langue officielle, réduire la question nationale à des questions linguistiques et culturelles relève d’une vision étroite et réactionnaire qui n’est pas sans rappeler l’autonomisme prôné par Duplessis. S’il est un endroit où la question linguistique est au centre de la lutte pour les droits collectifs d’une nation au Québec, c’est auprès des Autochtones dont la majorité des langues sont en voie de disparition…
En faisant porter le débat sur la seule question linguistique, la CAQ dévie l’aspiration à la souveraineté des masses québécoises vers une question secondaire et inoffensive pour le capital. Elle tente également de stigmatiser les personnes migrantes, car ce sont elles qui, en général, ne parlent pas le français, et ce, dans un but de promouvoir une vision réactionnaire et exclusive de ce que signifie être Québécois.
Or, la loi 96 est tout sauf un acte de courage politique, encore moins un témoignage de l’attachement de François Legault à la défense des droits nationaux du Québec. Cette loi a beau proposer que la Constitution canadienne reconnaisse le Québec en tant que nation et que le français en soit la langue officielle, tant que son droit à l’autodétermination y compris à la séparation n’est pas reconnu, cette reconnaissance n’est qu’un vœux pieux. Or, c’est justement ce point, pourtant le point au coeur de la reconnaissance des droits nationaux du Québec que François Legautl et la CAQ refusent de revendiquer.