Le 27 juin dernier, la Cour suprême des États-Unis tranchait en faveur de Mark Janus dans son litige avec la Fédération américaine des employés de l’État et des municipalités (AFSCME). Cette décision importante risque d’avoir des répercussions désastreuses sur la vie syndicale aux États-Unis et sur l’ensemble du pouvoir de négociation au sud de la frontière.
L’enjeu principal de Janus c. AFSCME est sur le prélèvement de droits d’agence, une forme de cotisations syndicales, prélevés sur des employés du secteur public non-syndiqués. Les syndicats comme l’AFSCME prélèvent ces droits parce que les gains réalisés et la défense des droits assumés par le syndicat bénéficie autant aux syndiqués qu’aux non-syndiqués dans le secteur public. Mark Janus plaidait pour sa part que cette cotisation, d’environs 45$ par mois dans son cas, enfreint sa liberté d’expression, en le forçant à financer indirectement des politiques qui vont à l’encontre de ses convictions conservatrices.
Évidemment, les médias conservateurs ont voulu nous faire croire à un véritable duel de David contre Goliath; d’un côté Mark Janus, un travailleur social de l’Illinois et de l’autre l’AFSCME, un syndicat regroupant 1.4 millions de travailleurs aux États-Unis. En creusant un peu, on réalise vite que Mark Janus n’est que la façade d’intérêts patronaux puissants.
La saga débute réellement avec l’arrivée en 2015 du républicain Bruce Rauner comme gouverneur de l’Illinois. Rauner est le prototype anti-syndical. Milliardaire de la finance qui a reçu l’appui de tous les grands médias de Chicago durant sa campagne, il s’attaque dans les deux premières semaines de son mandat aux droits d’agence puis procède à des coupes de près de 4 milliards en éducation supérieure, dans le transport collectif, en santé, dans les pensions des employés public de l’Illinois. Rauner tente de protéger ses actions et confirmer leur légalité devant la justice en exigeant un jugement déclaratoire. On pourrait presque parler à l’époque d’un Rauner c. AFSCME. Le tribunal refuse d’entendre Rauner parce qu’il ne paye pas de droits d’agence. Quelques mois plus tard Mark Janus demande à la Cour suprême des États-Unis de statuer sur la question. Le 28 septembre 2017, c’est le début de Janus c. AFSCME.
Un jugement similaire à Janus, Friedrichs v. California Teachers Ass’n, avait été rendu en mars 2016. Toutefois, la mort du juge conservateur Antonin Scalia, peu avant le jugement, avait partagé la Cour suprême également, 4 contre 4. Les juges conservateurs sont redevenus majoritaire avec la nomination Neil Gorsuch par Donald Trump ; Janus ou pas, avec le retour de la majorité conservatrice, la fin des droits d’agence n’était qu’une question de temps.
Les frais judiciaires de Janus furent payés par le Illinois Policy Institute (IPI) et le Liberty Justice Center. Ces deux organisations sont financées en grande partie par des grandes entreprises et des milliardaires connus pour leur haine des syndicats et des droits des travailleurs comme les très militants frères Koch. En août 2018, un mois seulement après avoir eu gain de cause, Mark Janus quitte son emploi au gouvernement ; il travaille maintenant à… l’Illinois Policy Institute !
Au final, la décision Janus est utilisée pour s’attaquer directement aux finances des syndicats ; laissant la porte grande ouverte aux fameuses lois Right to work dans le secteur public. Depuis juin dernier, des campagnes de désaffiliations, financées par des organisations patronales, ont lieu sur les campus de l’Université de la Californie, dans le syndicat de professeurs AFSCME de Tulsa en Oklahoma, les cols bleus de l’État de Washington, entre autres. Les organisations et think tank patronales, comme le State Policy Network, disent vouloir saigner d’un milliard de dollars de cotisations les syndicats américain d’ici 2020, grâce à Janus.
À la suite du jugement en juin dernier, Lee Sauders, président de l’AFSCME, déclarait que « le mouvement syndical américain est toujours là et [qu’]il sera là à tous les jours pour lutter aux côtés des travailleuses et des travailleurs ». Les syndicats américains redoublent actuellement d’efforts pour combattre les effets de Janus et les mensonges véhiculés par les organisations patronales.