Radio-Canada révèle le 28 mai dernier que le plus gros producteur maraîcher du Québec, Les Productions horticoles Demers, loge des travailleurs étrangers dans des conditions insalubres. Ils sont plus de 80, issus pour la plupart du Guatemala, et résident chaque année dans trois maisons et un ancien motel situés à Saint-Nicéphore, près de Drummondville. Entassés dans un espace surpeuplé, accablés par la chaleur suffocante en été et les pénuries d’eau chaude en hiver, les locataires de ces taudis doivent en plus débourser près de 120 $ chaque mois pour un coin de logement assailli par la moisissure. Ces conditions indignes s’ajoutent à la précarité, au travail éreintant, et aux sacrifices de travailleurs qui laissent leurs familles derrière pour un salaire minimum ici.
Contacté pour la première fois par les journalistes, Jacques Demers, PDG des serres, déclare être « surpris d’apprendre que les travailleurs soient insatisfaits de leurs logements ». Lui aussi sur la défensive, le directeur des ressources humaines de l’entreprise, Yannik Rivest répond que le travail agricole n’est pas « un monde de Calinours ». Pour lui la faute revient à la « tendance culturelle » des employés à la discrétion, qu’il qualifie de véritables « enfants », qui n’osent pas dénoncer leurs conditions directement à l’entreprise.
Le producteur, connu pour ses tomates, a tout avantage à vouloir étouffer l’affaire. L’entreprise prend de l’expansion cette année avec la construction d’une nouvelle serre à Lévis. Ce nouveau projet, financé à 40% par le Gouvernement du Québec, est un investissement de 70 millions. L’ex-ministre Fitzgibbon, qui prend connaissance des conditions déplorables des travailleurs, écarte la possibilité de retirer l’aide gouvernementale à l’entreprise. On peut s’y attendre, le gouvernement caquiste ne compte pas sévir contre Demers. Les grandes chaînes d’alimentations du Québec elles aussi rejettent en bloc un éventuel boycottage des produits qui proviennent des serres. Sentant la pression de l’opinion publique, Demers embauche une firme de communication pour gérer la crise.
Le 2 juin, la ministre fédérale Marie-Claude Bibeau contredit la version de l’entreprise en dévoilant que suite à une visite des inspecteurs du ministère de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire, les gestionnaires de l’entreprise sont avertis depuis déjà plusieurs mois de la situation déplorable de leurs logements. Les normes de sécurité et de salubrité canadiennes pour les travailleurs et travailleuses étranger.e.s sont pourtant loin d’être la panacée. Ces normes sont bien en deçà de celles de la CNESST et des recommandations de la SCHL. L’Organisation des Nations unies considère qu’un logement est surpeuplé à partir de trois personnes par pièce. Dans le cas des fermes Demers, 14 employés sont contraints de vivre dans une même pièce pour plusieurs semaines.
Dans une lettre publiée dans les médias le 3 juin, le p.-d.g. Jacques Demers, dans un exercice de relation publique flagrant, accepte la responsabilité pour son « manque de vigilance ». Il blâme la pandémie de COVID-19 et la croissance rapide de l’entreprise pour la détérioration de la situation. Sans s’engager concrètement, Demers indique que la situation sera corrigée.
Feignant l’innocence, le premier ministre François Legault dit espérer en conférence de presse que la situation soit « un cas isolé ». Les données du Réseau d’aide aux travailleuses et travailleurs migrants agricoles du Québec (RATTMAQ) montrent pourtant l’ampleur de l’exploitation des travailleurs et travailleuses étranger.è.s au Québec. Le tiers des centaines sondés par le RATTMAQ dénoncent des problèmes de salubrité. En plus des conditions de vie déplorables, il ne faut pas oublier que les conditions de ces travailleurs et travailleuses sont particulièrement difficiles et que leur statut d’immigration précaire donne un pouvoir de coercition important aux propriétaires de fermes. On ne compte plus les situations d’exploitation où certains, véritables prisonniers des fermes et menacés d’être déportés, travaillent sept jours par semaine et 12 à 15 heures par jour.
Loin d’être un cas isolé, la situation déplorable des employés des serres Demers doit nous amener à militer contre l’exploitation des travailleuses et travailleurs migrants agricoles. Cette lutte s’inscrit dans une bataille plus large pour garantir des droits et un revenu viable à l’ensemble des travailleuses et travailleurs. De plus, il faut leur donner les moyens et une voie claire et équitable pour accéder à la résidence permanente. Appuyons-les et demandons de vraies protections et un vrai statut d’immigration pour ces travailleurs et travailleuses !