Le début de la seconde année du mandat de François Legault nous amène à dresser le bilan de l’opposition au premier gouvernement caquiste de l’Histoire. Une chose est certaine, plusieurs organisations, groupes et syndicats lui tiennent tête.
Il faut dire que jusqu’à présent, le gouvernement Legault ne se compare peut-être pas encore aux rouleaux compresseurs Doug Ford en Ontario et Jason Kenny en Alberta. En effet, François Legault bénéficie de surplus budgétaires générés par les coupes sombres dans les services publics et l’austérité des libéraux qui l’ont précédé. De plus, l’économie semble avantagée par la faiblesse du dollar canadien. Mais malgré ces surplus, il ne faut pas croire pour autant que le nouveau gouvernement entend réinvestir massivement dans l’éducation ou la santé.
Une des premières mesures adoptées par ce gouvernement a été de plafonner la taxe scolaire au taux le plus bas de la province. Résultat : les commissions scolaires (ou ce qui en restera une fois le projet de loi 40 adopté) devront chercher un manque à gagner de 900 millions dans les coffres de l’État. Legault aura bientôt réussi à dilapider les surplus en cadeaux fiscaux sans améliorer la condition de vie de millions de québécois.e.s. Quel exploit!
La CAQ contre les minorités et les personnes immigrantes
Parmi les résistant.e.s, il y a ceux et celles mobilisé.e.s contre les lois et les mesures discriminatoires d’un gouvernement qui cible les immigrant.e.s, les femmes musulmanes voilées, les réfugié.e.s, etc. Nous faisons face à un gouvernement de manipulateur.trice.s et d’opportunistes.
En effet, là où le gouvernement Legault supplante certainement les libéraux, c’est dans sa capacité d’exploiter les questions identitaires pour augmenter ses appuis. Toute opposition à la fameuse Loi sur la laïcité de l’État devient une attaque « anti-Québec ». Quand elle est critiquée hors du Québec, elle est aussitôt assimilée à du Quebec-bashing. Quand les femmes musulmanes, les principales concernées, s’y opposent, on parle de « rejet du Québec » par les « immigrées » et les « islamistes ». Quand les syndicats protègent leurs membres contre la discrimination, ils deviennent des « syndicats islamo-collabo ». C’est ça le nationalisme sectaire de la CAQ.
Le gouvernement Legault peut aussi compter en cette matière sur l’appui indéfectible du Parti québécois. Les péquistes sont toujours prêts à jouer du coude dans les instances syndicales pour faire dérailler toute mobilisation contre la Loi 21. Ce parti de plus en plus moribond semble convaincu dur comme fer qu’en appuyant des lois discriminatoires contre les minorités, l’ardeur souverainiste pourrait reprendre du poil de la bête. De ce savant calcul, le PQ en vient à appuyer inconditionnellement cette loi, quitte à l’adopter sous le bâillon et même si elle contrevient aux Chartes des droits.
Le contrôle de l’immigration est une autre lubie du gouvernement Legault. De la réduction du nombre d’immigrant.e.s et la destruction de 18 000 dossiers en attente, à la réforme du PEQ, le ministre Jolin-Barette s’est empressé de multiplier les mesures bâclées. Bien qu’elles ne tiennent pas la route, le ministre persistait obstinément à les défendre. Mais, comme elles le plaçaient en porte-à-faux même vis-à-vis du patronat, le premier ministre Legault a fini par le rappeler à l’ordre. Le ministre défend maintenant l’augmentation de la proportion d’immigrants économiques au détriment des réfugiés jusqu’à 2022. Comme quoi il est toujours possible d’apprendre qui mène vraiment les affaires au Québec.
À partir de 2020, les personnes immigrantes devront désormais passer un test et obtenir une attestation sur leur connaissance des valeurs québécoises pour être sélectionnées par le Québec. Néanmoins, il semble selon des spécialistes du droit en immigration que le test n’ait qu’une valeur symbolique puisqu’en cas d’échec, les personnes pourront reprendre le test ou suivre une formation, mais ne seront pas expulsées. Selon Patrick Taillon, professeur de droit à l’Université Laval, il s’agit surtout d’un calcul électoraliste : « On pourrait dire que le gouvernement a surtout cherché à conquérir un électorat inquiet des transformations de la société sous l’effet de l’immigration, et qu’il a voulu faire campagne sur le dos des immigrants. »
Le gouvernement Legault contre la classe ouvrière
Les travailleur.euse.s qui manifestent contre la dérèglementation de l’industrie du taxi font partie de la résistance aux politiques de la CAQ. Les chauffeurs et les chauffeuses de taxi demandent le remboursement intégral des permis, au-delà de la maigre compensation offerte par le gouvernement. Il faut dire que le gouvernement Couillard avait déjà cédé le marché à la multinationale UBER en fermant les yeux sur le taxi illégal. Le prix des permis s’est vite effondré et des milliers de familles ont perdu beaucoup d’argent. Avec sa loi 17, la CAQ confirmait le tout et donnait sur un plateau d’argent le marché du taxi UBER. La compensation financière de 500 millions pour les chauffeurs et les chauffeuses sera remboursée par les Québécois.e.s. Les chauffeur.euse.s réclament 1.5 milliards $ au gouvernement. À suivre.
Il n’y a pas que dans l’industrie du taxi où les travailleurs.euses ont dû affronter le préjugé anti-ouvrier de la CAQ. Entre autres, les travailleur.euse.s d’ABI qui résistaient à leur employeur qui les avait mis en lockout depuis des mois, ont subi l’intervention directe du premier ministre qui a encouragé la multinationale à maintenir la ligne dure contre elles et eux.
Les travailleurs.euse.s de la SÉPAQ qui avaient entrepris un mouvement de grève au début de l’été, principalement pour obtenir des salaires plus décents, ont dû rejeter une entente de principe insatisfaisante survenue entre l’employeur et leurs représentant.e.s syndicaux. Cette entente a interrompu la grève juste avant la période stratégique des vacances de la construction. Or, l’entente n’accordait même pas l’indexation au taux d’inflation. En fait, elle ne prévoyait une hausse de seulement 5% sur 5 ans, soit 2% en 2019, 0% en 2020 et 1% pour chacune des trois autres années, le tout assorti d’une clause-remorque avec le résultat des négociations à venir avec le secteur public. Pourtant, certains des employé.e.s de la SÉPAQ sont payés à peine un peu plus que le salaire minimum. Cette négociation devra se poursuivre en 2020. Mais déjà, il apparaissait aussi très clairement que le gouvernement entendait bien adopter la ligne dure contre les employé.e.s du secteur public.
Le gouvernement Legault ne prend même pas la peine de cacher son parti-pris patronal. Au début de juin, l’opposition presse le premier ministre Legault d’agir contre la délocalisation d’une partie de la production de l’entreprise Velan, spécialisée dans la robinetterie industrielle vers l’Inde. Legault rétorque au contraire que c’est une bonne chose de transférer ces emplois à l’étranger, accusant la cheffe de Québec solidaire d’être « communiste » parce qu’elle osait critiquer son approche.
La CAQ s’est même permis de réclamer du gouvernement fédéral une loi spéciale contre les travailleur.euse.s du Canadien National, lequel s’organisait pour provoquer délibérément une pénurie de gaz propane afin de pouvoir en blâmer la grève.
Un gouvernement majoritaire à l’Assemblée nationale étant investi d’un grand pouvoir, Québec Solidaire ou les libéraux n’ont pas pu, en tant que partis d’opposition, faire quoi que ce soit contre les bâillons de la CAQ. Les grèves tournantes du taxi et les quelques manifestations antiracistes ont certes mis de la pression sur le gouvernement, mais pas suffisamment pour qu’il recule. Les enseignantes lésées et chauffeurs de taxi se sont tournés vers les tribunaux.
La CAQ, les tarifs d’électricité et les commissions scolaires
Cette année , la CAQ a fait adopter sous bâillon son projet de loi 34 sur les tarifs d’électricité. Presque tout le monde condamne cette loi, tant les associations commerciales et industrielles que les groupes de défense des consommateur.trice.s et tous les partis d’opposition. C’est suite à un rapport du vérificateur général du Québec qui avait révélé qu’Hydro-Québec avait empoché des trop-perçus se montant à plus de 1,7 milliard $ depuis 2005 qu’est survenu la promesse de la CAQ de rembourser les consommateur.trice.s. Finalement la CAQ a accouché du PL34 qui prévoit geler les tarifs en 2020 et de ne rembourser seulement que 500 millions $ du trop-perçu. Mais en passant, le projet de loi retire aussi à la Régie de l’énergie son pouvoir de fixation du prix de l’électricité. Celui-ci sera désormais fixé automatiquement au niveau de l’inflation. Or depuis les 10 dernières années, la hausse qui avait été accordée par la Régie chaque année avait été inférieure à l’inflation. Par ce truchement, contrairement à ses promesses, ce sont des centaines de millions supplémentaires que le gouvernement et Hydro-Québec vont aller chercher dans les poches des consommateur.trice.s.
La CAQ a été tentée de forcer aussi l’adoption du projet de loi 40 qui abolit les commissions scolaires, mais s’est finalement ravisée. Le projet de loi est aussi contesté de toutes parts, notamment avec force par les syndicats d’enseignant.e.s, mais il implique quant à lui d’importants enjeux constitutionnels. Il prévoit remplacer les commissions scolaires par des centres de services. L’élection de commissaires au suffrage universel sera abolie dans le cas des commissions francophones, bien que maintenues pour les anglophones, ces dernières ayant dès le départ manifesté leur intention de ne pas respecter la loi et d’en contester la constitutionnalité. Mais en retour, cela a pour effet de rendre le projet de loi complètement discriminatoire. Des conseils d’administration composés de bénévoles, soit 8 parents provenant des conseils d’établissement, 4 membres de la communauté et 4 membres du personnel scolaire, désignés par leurs pairs, remplaceront les commissions scolaires. En fin de compte, le ministre de l’Éducation vise ainsi à centraliser plus de pouvoir décisionnel entre ses mains.
Comme le soulignait Michel C. Auger de Radio-Canada dernièrement, depuis un an le gouvernement de la CAQ cherche à concentrer le plus possible le pouvoir entre ses mains en éliminant les avis extérieurs et les institutions qui peuvent faire office de contrepouvoirs. Les projets de loi 34 et 40 en sont de parfaits exemples. Il en va de même en ce qui concerne le Fonds vert qu’on avait doté d’un conseil de gestion du fait de ses errances et de sa médiocre performance. Or, le nouveau Fonds d’électrification et de changements climatiques, qui remplce le Fonds vert, redevient discrétionnaire sous le contrôle direct du ministre. Y aurait-il là-dessous un certain mépris de la démocratie, voire un petit penchant pour la concentration du pouvoir?
La CAQ, l’environnement et les nations autochtones
Les manifestations du 27 septembre 2019 pour l’environnement dans plusieurs villes du Québec, dont celle de Montréal en particulier qui a rassemblé un demi-million de personnes, démontrent que les Québécois.es sont vraiment très préoccupés par cette question. Cela a d’ailleurs eu un impact déterminant sur le résultat des élections fédérales. Or, il peut sembler paradoxal qu’un an plus tôt, la CAQ ait pu remporter l’élection provinciale alors qu’elle n’avait absolument rien à proposer sur la question de l’environnement. Écologie oblige, François Legault se dit « pragmatique », façon de dire une chose et son contraire, notamment en essayant de faire passer des projets de nature « économique » en projets « verts ».
C’est le cas par exemple du fameux 3e lien entre Lévis et Québec. Il en va de même concernant le projet de pipeline et d’usine de liquéfaction de gaz naturel à Saguenay (GNL), soutenu par la CAQ. Dernièrement, le gouvernement a décidé de soutenir les gouvernements conservateurs de l’Ontario et de la Saskatchewan dans leur opposition à la taxe carbone fédérale sous prétexte de défendre les prérogatives provinciales contre le pouvoir fédéral. Bref, considérant la nature du gouvernement de la CAQ, le risque de confrontations sur la question de l’environnement pourrait être assez important par les temps qui viennent.
La façon dont la CAQ se soucie des nations autochtones est du même genre. À peine deux mois après qu’elle fut élue, la CAQ a mis fin au projet de parc éolien Apuiat sur la Côte-Nord. Ce projet impliquait la nation innue avec des compagnies, Boralex et la Société renouvelable Canada. La nation innue de la Côte-Nord espérait que ce projet l’aide à développer son autonomie économique, notamment en créant quelques centaines d’emplois. Or selon Legault, le projet n’était pas rentable…pour Hydro-Québec.
La CAQ a eu la même approche dernièrement à propos de la Loi fédérale C-92 adoptée en juin 2019 et entrée en vigueur le 1er janvier 2020. La loi, considérée comme une avancée majeure par les peuples autochtones de partout au pays, leur cède le contrôle et confirme leurs droits et leur compétence en matière de services à l’enfance et à la famille. Or, le gouvernement Legault a plutôt décidé de contester en Cour d’appel la constitutionnalité de la loi fédérale, alléguant qu’elle empiétait dans le champ de compétence des provinces en matière de services sociaux et de protection de la jeunesse.
Il s’agit là d’une totale négation du droit à l’autodétermination des nations autochtones. Évidemment, les chefs autochtones de partout au pays, dont celui de l’Assemblée des Premières Nations Québec-Labrador (APNQL), M. Ghislain Picard, s’insurgent contre le gouvernement de François Legault. Toutes et tous lui rappellent les recommandations des différentes commissions d’enquête, dont la Commission de vérité et réconciliation (CVR), et plus récemment la commission Viens, qui encouragent la prise en charge des enfants autochtones par leur propre communauté.
Et 2020 ?
La contestation de la Loi sur la laïcité de l’État devant les tribunaux va demeurer l’un des enjeux les plus sensibles au Québec durant l’année qui vient. Cet enjeu s’était même invité dans la campagne électorale fédérale l’automne passé, à l’avantage du Bloc québécois. À la fin de l’année, les défenseur.dresse.s de la loi sont montés aux barricades et s’en sont pris au processus de contestation judiciaire et particulièrement à la juge en chef Nicole Duval Hesler. Les défenseur.dresse.s de la loi savent très bien que cette loi est discriminatoire (le recours à la « clause nonobstant » ne constitue ni plus ni moins qu’une admission) et pourrait être déboutée devant les tribunaux.
C’est cette question qui explique en bonne partie le fait que le niveau de popularité du gouvernement demeure élevé en dépit des attaques de plus en plus nombreuses qu’il mène contre le peuple et en particulier contre la classe ouvrière. L’Histoire foisonne d’exemples de ce genre de gouvernements qui se sont ouvertement attaqués à des minorités pour mieux s’attaquer à la majorité presque à son insu. Celles et ceux qui s’opposent à la loi 21 ne doivent pas compter que sur la contestation devant les tribunaux. Les mouvements antiraciste et féministe, le mouvement ouvrier, doivent s’organiser et être visibles partout au Québec. Ultimement, c’est la force de la mobilisation dans la rue qui sera la plus déterminante.
Face au gouvernement Legault nous devons créer une opposition solide et organisée. Bientôt, ce gouvernement utilisera la question identitaire à toutes les sauces pour mater ses opposant-e-s. Avec les négociations du secteur public qui sont commencées et qui s’annoncent difficiles, il faudra rester uni. Saluons celles et ceux qui ont tenu tête au gouvernement Legault en 2019 et préparons-nous à une seconde manche encore plus corsée en 2020.