People’s Voice – Questions syndicales
Du 15 au 19 juin dernier, près de 4000 délégué.e.s ont assisté à la première édition virtuelle Congrès du travail du Canada (CTC). Avec moins de 15 heures pour boucler l’exercice, les dirigeants syndicaux et les délégués ont dû faire preuve de réactivité pour convaincre l’assemblée et défendre leur vision.
Ironiquement, les points saillants du congrès ne sont pas les amendements ou les discours mais plutôt les dynamiques et les débats.
Les amendements constitutionnels les plus néfastes, présentés par les grands syndicats, ont été systématiquement défaits ou rejetés pour vice de procédure. Ce résultat est en grande partie grâce à la mobilisation du Groupe d’action et des directions de conseils locaux au sein de la délégation du congrès. Certains amendements décriés auraient réduit de plusieurs milliers de membres la délégation du prochain Congrès et enlevés aux conseils locaux la liberté de choisir démocratiquement leurs délégué.e.s. Ces résolutions auraient permis aux bureaux nationaux des grands syndicats d’exercer un contrôle accru sur le Congrès.
La syndicaliste Carol Wall, candidate à la course à la présidence du CTC en 2005, s’est farouchement opposée à la tentative infructueuse des instances syndicales nationales d’imposer leurs visées centralisatrices et antidémocratiques au détriment des instances de proximité.
Wall a également soulevé « qu’un contrôle accru et la centralisation dans les mains des instances nationales accroît le désengagement et le départ des militant.e.s de leurs syndicats locaux vers le mouvement communautaire ». Elle a rappelé que les travailleuses et travailleurs « ont besoin d’un vrai débat sur la question lors du Congrès ».
Cet enjeu est également d’une grande importance pour le Groupe d’action qui défend clairement, depuis ses débuts, la démocratie syndicale dans une perspective de classe.
La tenue du congrès sur une plateforme virtuelle a causé plusieurs inconvénients importants. Impossible pour les délégué.e.s de se regrouper pour discuter durant les pauses ou en soirée. Cet isolement a eu un effet sur la trame générale du congrès en dissipant les débats et en laissant peu de temps aux délégués pour réagir et former une défense cohérente. Les documents d’orientation du congrès se concentraient principalement sur le lobbyisme parlementaire et l’électoralisme. Nos « gains », qui consistaient à empêcher l’érosion démocratique du congrès, se sont révélés d’autant plus pertinents.
On a aussi assisté à une fracture au sein de la droite du congrès. D’une part, il y avait un effort pour ramener les grands syndicats dans le giron du NPD et de l’autre de rapprocher le Congrès du gouvernement libéral. La première tendance dominait les candidatures de l’Équipe Ensemble CTC, qui a pressé les délégué.e.s d’appuyer une stratégie qui mettait de l’avant des gains électoraux pour le NPD. L’autre tendance, constituée de syndicats se disant « non-partisan » a contribué au rapprochement entre le CTC et le gouvernement durant le dernier mandat. Ce groupe, dont faisait partie le président sortant Hassan Yussuff, s’est afféré durant tout le dernier mandat à entretenir des liens avec Justin Trudeau.
Même si les deux tendances semblent poursuivre des objectifs opposés, on réalise rapidement qu’il s’agit des deux faces d’une même médaille. D’un côté, un NPD toujours plus à droite et de l’autre des sociaux-démocrates subordonnés au gouvernement libéral.
L’équipe Labour Forward, opposée à l’Équipe Ensemble CTC durant le congrès, s’est constituée autour d’un petit noyau de militants défendant des positions rhétoriques de gauche sans réelle stratégie. Leur appel pour que le CTC adopte une ligne d’appui à la grève de masse a réussi à attirer certain.e.s délégué.e.s qui recherchais une alternative à la droite. Toutefois, leur approche étroite, qui les a amenés à s’opposer à une motion contre l’islamophobie « parce qu’elle n’allait pas suffisamment loin », les a exposés pour ce qu’ils sont ; beaucoup de bruits et pas de résultats. L’alliance entre Labour Forward et Ensemble CTC pour appuyer le NPD lors de résolutions importantes n’a fait que les décrédibiliser en tant qu’alternative.
Nous devons constituer une vraie alternative qui s’oppose à la rhétorique vide et proposer un véritable plan, un travail de mobilisation et de coalition concret pour organiser une riposte syndicale indépendante.
Plusieurs résolutions présentées au congrès étaient l’occasion pour les délégué.e.s de se prononcer sur des enjeux cruciaux. Parmi ceux-ci, on compte la syndicalisation des travailleurs précaires, le soutien aux luttes autochtones, des politiques contre les changements climatiques et la défense des minorités contre la haine et la bigoterie. Plusieurs de ces résolutions se sont malheureusement perdues dans des conjectures et les amalgames de directives contradictoires. Ces résolutions risquent de ne jamais être considérées par la nouvelle direction du CTC. Il y a aussi l’exemple d’une résolution adoptée par le Conseil canadien du CTC pour condamner les bombardements à Gaza et défendre les droits des Palestiniens, qui s’est perdue et qui n’a jamais été présentée au Congrès.
La tension a atteint son comble lors des débats entourant l’opposition totale aux conservateurs et de réaffirmer le soutien exclusif du CTC au NPD. Ces deux résolutions étaient considérées comme prioritaires sur les 102 autres résolutions générales. La motion de soutien au NPD a été adoptée au terme du débat. Toutefois, plus de 1000 délégué.e.s s’y sont opposé, ce qui est loin de donner carte blanche au parti au sein du CTC. Il est clair qu’un très grand nombre de travailleurs et travailleuses s’attendent à ce que le NPD gagne le soutien des syndicats en mettant de l’avant des politiques progressistes. La nouvelle direction du CTC doit en prendre note et agir en conséquence.
Pendant de nombreuses années, le Parti communiste a lutté pour que le CTC poursuive une politique indépendante. Cette indépendance, mise au service des intérêts des travailleurs et travailleuses, permettrait au Congrès de diriger ses propres luttes économiques et sociales, plutôt que de s’en remettre sans cesse aux promesses électorales des partis politiques. Ainsi, toute l’organisation pourrait bénéficier d’une plus grande proximité avec sa base militante et une meilleure intégration des enjeux locaux et communautaires à la lutte syndicale.
Le CTC pourrait consacrer ses ressources financières et humaines considérables aux Conseils régionaux et aux projets communautaires. Il pourrait renoncer aux coûteuses campagnes de marketing et réorienter ces ressources vers un meilleur soutien à la formation des militants et militantes syndicales. Au lieu de mobiliser pour faire pression sur le Parlement fois par an ou faire du porte-à-porte pour un parti politique, le CTC pourrait mobiliser les militant.e.s en soutient à leurs communautés. Il pourrait faciliter la syndicalisation en faisant la promotion des avantages et en appuyant à l’aide de moyen technique de pointe les campagnes de syndicalisation. Il pourrait faire la médiation de conflits intersyndicaux. Lors des congrès des fédérations et des syndicats affiliés partout au Canada, les dirigeants locaux ont demandé que les organisations syndicales soutiennent des activités de mobilisation pour répondre au regain d’intérêt pour la syndicalisation.
Par manque de temps, plusieurs points de vue alternatifs n’ont pas pu être entendus lors du Congrès. Heureusement, plusieurs délégués ont pu influencer les discussions. La direction droitière du CTC s’oppose depuis longtemps à toute « ingérence » des militant.e.s lors des congrès, mais elle n’a jamais pu complètement faire complète obstruction. Ce congrès n’était pas différent dans la mesure où la résistance était au rendez-vous.
Les travailleuses et les travailleurs ont deux ans pour se préparer au prochain congrès. Nous sommes présentement dans un contexte de chômage massif, de crise, mais aussi de riposte grandissante. Alors que le nouveau leadership du CTC tentera d’imprégner l’organisation de son opportunisme et de son réformiste social-démocrate, il est certain qu’il rencontrera une résistance accrue. Le congrès de 2021 nous a montré que les travailleuses et les travailleurs veulent d’un Congrès du travail visionnaire, militant et qui est à la hauteur des enjeux auxquels ils sont confrontés. Pour réussir, nous devrons mettre la main à la pâte, laisser derrière la rhétorique vide et cesser de sous-traiter la mobilisation au NPD. C’est un défi pour le Groupe d’action et tous les progressistes qui souhaitent continuer la lutte au sein du CTC.