ENTENTE DE PRINCIPE DU FRONT COMMUN : UNE VICTOIRE QUI DOIT MENER À D’AUTRES VICTOIRES

Prenant acte des détails de cette entente, le Parti communiste du Québec (PCQ-PCC) reconnait que malgré d’importantes concessions de la part du comité de négociations, il s’agit d’une victoire importante de la part des plus de 500 000 salariés qui se sont mobilisés et n’ont pas hésité à aller au front à travers plusieurs séries de grèves pour exiger des offres convenables caractérisées par une augmentation des salaires jamais vue jusqu’à présent ainsi que plusieurs mesures améliorant les conditions de travail. Il ne fait aucun doute que, quelle que soit l’issue, une telle mobilisation aura un impact positif sur les luttes syndicales à venir.

Victoire de la mobilisation

Depuis le début des négociations, le gouvernement Legault a tout tenté pour isoler les syndiqués du reste de la population, diviser le Front commun et autres syndicats, voire le Front commun en soi, le tout en vain. Au contraire, à l’heure d’adopter les mandats de grève incluant la grève générale illimitée, les résultats ont été historiquement élevés atteignant une moyenne de 95%. La mobilisation a également été massive lors des trois séries de grèves et soutenue par une majorité de la population.

Le gouvernement a alors tenté de continuer de jouer la carte de l’usure jusqu’à ce que les syndicats annoncent une grève générale illimitée en début d’année 2024 dans un contexte de désaveu public de la CAQ. Le simple fait que le gouvernement, qui avait jusque là feint s’intéresser aux négociations, finisse par s’assoir sérieusement avec les syndicats est en soi une victoire importante et une preuve que la mobilisation paie.

Par ailleurs, certaines avancées à la table centrale sont historiques, notamment l’augmentation salariale de 6% pour l’année 2023, la plus haute enregistrée depuis 1979. De même, l’intégration d’une clause de protection du pouvoir d’achat, bien que limitée à 1% et applicable seulement lors des trois dernières années, représente une avancée importante.

Au chapitre des conquêtes, il convient de rappeler, entre autres, la cinquième semaine de congés payés au bout de 19 ans plutôt que 25, une bonification de la contribution de l’employeur au régime d’assurance maladie, des améliorations en matière de droits parentaux et une majoration salariale pour l’intégration des ouvriers qualifiés et spécialisés passant de 10% à 15%.

Des insuffisances flagrantes

Ces importantes avancées ne doivent toutefois pas masquer plusieurs insuffisances et dangers. Pour mieux les cibler, comparons les demandes syndicales initiales et l’entente de principe :

Demandes syndicales (décembre 2022) :

– 1er avril 2023 : 100$ / semaine ou IPC +2%

– 1er avril 2024 : IPC +3%

– 1er avril 2025 : IPC +4%

Total de +23% sur trois ans.

Entente de principe (janvier 2024) : 

– 1er avril 2023 : +6%

– 1er avril 2024 : +2,8%

– 1er avril 2025 : +2,6% (+jusqu’à 1% pour rattraper l’inflation)

– 1er avril 2028 : +2,5% (+jusqu’à 1% pour rattraper l’inflation)

– 1er avril 2027 : +3,5% (+jusqu’à 1% pour rattraper l’inflation)

Total :  +17,4% sur 5 ans (+11,14% sur trois ans)

On constate donc un différentiel de près de 12% sur les trois premières années entre les demandes et l’aboutissement des négociations.

De même, la durée de la convention collective est également problématique. Dans un contexte marqué par une insécurité économique croissante, il est impossible de plancher sur une aussi longue période. Bien malin celui qui saura prédire le taux d’inflation ou les taux d’intérêts d’ici un an, à plus forte raison d’ici 2027, encore moins le gouvernement Legault qui, semble-t-il, cherche à faire payer les salariés la hausse de l’année 2023 pour empêcher un enrichissement salarial à long terme.

Par ailleurs, bien qu’il y ait une certaine augmentation de la masse salariale globale et que celle-ci soit au-dessus (potentiellement du moins) du taux d’inflation global, il reste que les plus bas salariés sont laissés pour compte. En effet, une augmentation d’à peine 3% en moyenne sur quatre ans, dans un contexte où les loyers et biens de première nécessité continuent d’augmenter à une vitesse effrénée tout comme les taux d’intérêts est loin de représenter une avancée considérable. À ce constat s’ajoute la perte du montant forfaitaire de 100$ par semaine prévu pour l’année 2023, soit l’abandon d’un mécanisme censé contribuer à réduire l’écart salarial dans la fonction publique.

Pour la suite?

Il ne fait aucun doute que ceux et celles qui s’attendaient à ce que la lutte du Front commun se conclue, comme un feu d’artifice, avec un bouquet final rondement mené sont déçus. Pourtant, depuis le début de cette bataille historique, nous avons répété qu’il ne s’agissait ni d’un « front commun Aurore », ni d’un « front commun Potemkine ». Il n’a jamais été question d’une lutte providentielle capable à elle seule, ex nihilo, de renverser des décennies de néolibéralisme. Prétendre le contraire reviendrait à méprendre nos désirs pour la réalité…

Bien sûr, les raisons ne manquent pas pour rejeter cette offre. Cependant, nous, communistes, n’y voyons pas un dilemme existentiel en soi. Au-delà de l’acceptation ou du rejet de cette offre, le plus important reste la dynamique de lutte. Ainsi, nous refusons à la fois une position cavalière de refus comme nous rejetons une position d’appui tous azimuts.

L’élément le plus important est de contextualiser la lutte du Front commun dans une lutte plus grande, plus politique, visant à construire le socialisme au Québec et au Canada. En ce sens, il ne fait aucun doute que les avancées conquises par les salariés du secteur public sont loin de la satisfaire, loin s’en faut.

Pour toute possibilité de règlement, l’élément le plus important consiste en la capacité de renforcer la lutte syndicale pour les batailles à venir. Si une majorité claire de travailleurs refusent l’offre et, en connaissance de cause, appellent à la grève générale illimitée, soit. Le Parti communiste mobilisera du mieux possible ses forces pour contribuer à la lutte.

À l’inverse, une position mitigée, qu’elle soit en faveur ou à l’encontre de la proposition d’entente représente la pire issue possible puisqu’il s’agirait d’une division potentielle de l’unité conquise à travers ce front commun, unité si cruciale pour gagner d’autres victoires dans un contexte où la lutte sera d’autant plus âpre que les attaques patronales et gouvernementales se multiplieront.

Au final, la question la plus importante n’est pas tant de gagner la bataille des négociations actuelles, mais de bâtir un rapport de forces capable de mettre en échec, à terme, le pouvoir des monopoles. Si accepter l’entente de principe permet d’aller en ce sens et pave la voie à d’autres luttes cardinales, soit. Si la refuser permet permet d’intensifier la lutte, soit également. L’heure n’est ni à l’arrogance intellectuelle ni à l’idéologie du désir. Il s’agit de bâtir un rapport de forces permettant à la fois de conquérir de meilleures conditions de travail non seulement aujourd’hui, mais en général; puis de renforcer la lutte du travail contre le capital sur les plans économique, social et politique.