Alors que seules quelques ententes de principes sectorielles restent à ratifier avant de conclure cette ronde de négociations du secteur public initiée au printemps 2020, le Parti communiste du Québec (PCQ-PCC) reconnaît la détermination des syndicats et des travailleur-euses dans le cadre de cette lutte importante pour la classe ouvrière du Québec marquée par un contexte particulièrement hostile dû à plus de 15 mois de pandémie de COVID19.
À la pandémie, nous devons ajouter l’intransigeance du gouvernement Legault qui, au cours des 40 rondes de négociations tenues entre décembre 2019 et mai 2021 n’a eu de cesse de présenter à peu de choses près, les mêmes propositions n’offrant rien de mieux aux travailleur-euses du secteur public qu’une paupérisation perpétuelle avec des hausses loin d’atteindre les taux d’inflations prévus par la Banque du Canada pour la période de 2020 – 2023. Ce gouvernement, dans une tentative de liguer la population contre les syndicats s’est même engagé dans une campagne de désinformation faisant croire que les propositions patronales s’élevaient à 8% sur trois ans alors qu’il s’agissait plutôt de 5% – le reste n’étant que des ajustements liés notamment à la performance économique du Québec, donc incertain. Le 2 mai dernier, invoquant la « capacité de payer des Québécois-es », François Legault lui-même a enjoint les syndicats à accélérer les rondes de négociations.
Confrontés à un mur, les syndicats se sont dotés de mandats de grève clairs. C’est ainsi que la FSE-CSQ a obtenu de ses 73 000 membres 5 jours de grève. La FNEEQ-CSN et la FSSS-CSN ont également obtenu des mandats clairs tandis que l’APTS, qui représente 60 000 salarié-es, a fait grève durant quatre jours au mois de juin. La FAE également s’est dotée de mandats de grève générale illimitée. À l’issue de l’annonce du 2 mai, les syndicats représentant la majorité des salarié-es du secteur public ont publié une déclaration commune rejetant les propositions patronales et ont fait savoir qu’elles étaient déterminées à poursuivre la lutte.
Dans cette situation et compte-tenu de l’aversion à peine voilée de François Legault et de son gouvernement envers les syndicats, on aurait pu s’attendre à un bras de fer intense et les 500 000 travailleur-euses du secteur public, voire à un retour au travail forcé par une loi spéciale et selon les conditions dictées par le patronat.
Or, à partir du 2 mai et de l’annonce du gouvernement, les offres patronales ont commencé à être plus avantageuses pour les travailleur-euses à un point tel que des ententes de principe ont commencé à être signées. Parmi celles-ci, soulignons celle convenue dans la nuit du 27 au 28 mai entre la FTQ et l’employeur. À l’issue de cette table de négociations, la partie syndicale avait obtenu 2% d’augmentations par année en plus de 1,5 à 4% d’augmentation afin de réduire l’écart salarial (une augmentation plus élevée pour les bas salaires que les plus élevés). De source syndicale, cette entente est l’une des plus avantageuses depuis 30 ans.
Serait-ce que Legault est devenu pro-syndicats du jour au lendemain? Certainement pas!
D’emblée, il faut remettre le tout en contexte. Alors que la pandémie a révélé à la fois le piteux état de nos services publics, le manque de personnel et les conditions de travail accablantes dans le secteur public, il aurait été politiquement couteux pour la CAQ de s’engager dans un conflit de travail à un peu plus d’un an des prochaines élections. Devant la détermination des syndicats à se mettre en grève – et devant le haut taux d’approbation syndiqué-es aux mandats de grève (autour de 90%) – Legault et son gouvernement en ont conclu qu’acheter la paix sociale serait la meilleure option.
Soulignons par ailleurs que ces ententes, même si elles sont plus avantageuses que ce que le gouvernement a pu proposer jusqu’à présent, sont loin de satisfaire les besoins et de la population et des travailleur-euses du secteur public. Elles sont loin de s’inscrire dans une perspective d’issue populaire à la crise du capitalisme que nous traversons ni même de permettre une augmentation considérable des conditions de travail des travailleur-euses du secteur public. Autrement dit, pour les trois ans à venir, les syndicats ont su « sauver les meubles ».
En fin politicien, Legault a également su tirer profit du contexte syndical actuel. En effet, non seulement les différentes centrales n’ont pas été en mesure de former un front commun au cours des négociations, mais ces négociations sont les premières depuis la « réforme Barrette » qui avait complètement déstructuré le réseau de la santé et remanié la carte syndicale. En conséquence, la CSN, reconnue pour des positions généralement plus combatives, y a perdu du terrain au profit d’autres centrales. Legault en a donc profité pour isoler les centrales les plus à gauche et identifier lesquelles seront ses interlocutrices de préférence dans une optique de faire des syndicats un « partenaire social » et non une force de résistance.
Ceci s’inscrit d’ailleurs dans un projet politique de transformation du Québec à long terme. Au centre de ce projet figure la destruction de toutes les conquêtes sociales et démocratiques qui ont permis aux travailleur-euses et aux masses laborieuses du Québec d’améliorer leurs conditions au profit d’un modèle néolibéral où le gouvernement dirige comme un patron « runne sa business ». C’est ainsi que ce même gouvernement est à l’origine de la Loi 40 qui abolit les Commissions scolaires pour les remplacer par des structures similaires (mais sans la démocratie locale), qui s’attaque à la santé et à la sécurité au travail avec la Loi 59 et dont le ministre de la Santé a récemment fait part de son intention de « moderniser » la loi sur la Santé afin de mieux flexibiliser (donc précariser) les conditions de travail et permettre une meilleure mobilité de la main d’oeuvre.
Ce projet n’est pas nouveau. Il est dans les cartons depuis des décennies. Charest l’a imposé à travers sa « Réingénérie de l’État » et tous les gouvernements successifs y ont apporté leurs fantaisies sur ce même thème. Legault cependant diffère en ceci qu’il est un vieux routier de la politique au Québec. Il se souvient certainement que ce qui a fait le succès du projet de « déficit zéro » (soit une coupe de 3 milliards de dollars la santé et l’éducation), c’est d’avoir pu compter sur le partenariat des syndicats. Il veut donc se montrer patient et prouver au patronat qu’il est en mesure de gérer les syndicats, en particulier ceux de la fonction publique qui, historiquement, ont mené des batailles intenses contre le gouvernement.
Il sait également que son élection en 2018 est due à l’exaspération des Québécois-es devant l’austérité libérale. En ce sens, se montrer anti-syndical dès son premier mandat serait également couteux politiquement.
Pour l’instant, sa priorité est d’installer son régime de patrons et actionnaires au pouvoir sur une longue période afin de mener à terme le projet politique de la CAQ. Dans ce contexte, attendre les prochaines élections afin de montrer son vrai visage anti-ouvrier au prix de certaines concessions pour acheter la paix sociale n’est qu’un sacrifice mineur. D’ailleurs, pour ceux et celles qui doutent de son aversion contre les travailleur-euses n’ont qu’à se rappeler le parti-pris décomplexé en faveur de la partie patronale dans le cadre de la grève prolongée des travailleur-euses d’ABI et, tout récemment, l’appel aux travailleur-euses d’Exeldor de se joindre à la table de négociations et de mettre fin à leur grève.
À aucun moment le rôle des syndicats ne devrait être d’être « raisonnable » devant les demandes de l’employeur. Sans être déraisonnables et déconnectés de la propension à la lutte des masses ouvrières, les syndicats sont des forces de résistance qui doivent s’appuyer sur le rôle et le potentiel de la classe ouvrière comme acteur central capable de dynamiser les luttes populaires contre le pouvoir du capital. Dans cette optique, les luttes des travailleur-euses du secteur public jouent un rôle central et ce, pour deux raisons. D’une part, la lutte pour des services publics de qualité, pour un monopole public sur ceux-ci et contre les PPP ou autres schémas de privatisation, passe par un réinvestissement et des conditions de travail dignes. Les services publics n’ont pas à être source de profit ni pour l’État ni pour des entrepreneurs capitalistes. D’autre part, en luttant directement contre l’État-employeur, les travailleur-euses du secteur public sont en lutte non seulement contre leur employeur, mais bénéficient également d’un levier direct contre toute politique anti-sociale du gouvernement.
En conséquence, les mobilisation et grèves du secteur public sont éminemment politiques et ont le potentiel de renverser la vapeur sur plusieurs plans. La dernière ronde de négociations a certes réussi à faire reculer le gouvernement, mais elle a également été affaiblie par l’absence de Front commun qui aurait pu, sans aucun doute, agir non seulement sur le plan des conventions collectives, mais aussi sur un plan plus général, plus politique, forçant le gouvernement Legault à battre en retraite et à refinancer massivement les services publics.
Alors que Legault et son gouvernement semblent en bonne posture vers un 2e mandat, il n’est pas trop tôt pour, dès maintenant, convaincre les travailleur-euses du secteur public ainsi que leurs représentants syndicaux de former un front commun intersyndical d’ici les prochaines négociations de 2023.