À l’issue des résultats du scrutin du 3 octobre dernier, le Parti communiste du Québec (PCQ-PCC) appelle les mouvements syndical, démocratiques et populaires à intensifier la lutte contre le pouvoir des monopoles.
Le balayage de la CAQ, qui ravit 90 sièges sur 125 n’est pas l’expression du vote populaire, mais plutôt celui des grandes entreprises. Que la formation de François Legault remporte 72% des circonscriptions avec à peine plus de 40% des votes exprimés le confirme, tout comme le fait que pour la deuxième fois consécutive, le taux de participation s’établit en-dessous de 70%.
François Legault a pourtant fait une campagne des plus médiocres tant sur le fond que sur la forme. Malgré ses piètres performances lors des débats, des sorties réactionnaires sur l’immigration, le dossier épineux du troisième lien et l’absence de propositions politiques autres que « continuions », malgré l’absence même d’une plateforme électorale qui traduit le mépris de Legault envers la démocratie, la CAQ transforme l’essai et croit ses appuis de 10% en plus de s’offrir un score digne de l’époque de la Grande Noirceur. Rarement depuis cette époque, le patronat n’a pu compter sur une scène politique aussi stable, une nécessité aux vues des crises à venir. François Legault a donc tenu son pari : devenir une courroie de transmission entre les ordres des monopoles et une base électorale forte autour notamment de la petite bourgeoisie régionale québécoise francophone, mais aussi d’une part non-négligeable de la classe ouvrière, y compris de certains syndicalistes comme l’atteste la réélection de Shirley Dorismond, de la FIQ, dans Marie-Victorin. Leur appui à la CAQ n’est pas une adhésion aux valeurs réactionnaires, mais traduit surtout l’absence de perspective politique en faveur de la classe ouvrière et des masses populaires, ce qui les rend plus vulnérables au populisme de droite qui, selon la volonté des monopoles, a le vent dans les voiles.
En refusant de saborder complètement le Parti libéral qui sauve les meubles avec 23 député-es (presque exclusivement dans l’ouest de l’ile de Montréal), le Capital envoie également comme signal clair à Legault qu’il l’a à l’œil. S’il ne livre pas marchandise, il n’hésitera pas à recourir à son ancien vaisseau amiral. Les commentateurs de la presse vénale abondent en ce sens et rappellent que la CAQ a été élue sans propositions claires notamment en matière économique et ce, dans un contexte d’inflation et de potentielle récession. En clair, les monopoles exigent du deuxième mandat de la CAQ que le gouvernement intensifie ses attaques contre les travailleur-euses, en particulier contre les services publics et le salaire socialisé. Ce n’est pas un hasard si le conservateur ontarien Doug Ford s’est empressé de féliciter son « ami » pour sa réélection !
Lors de son discours de victoire, François Legault a insisté sur l’importance de l’éducation – lui qui, alors qu’il en était ministre, a amputé le réseau d’un milliard de dollars. Or, au lieu de parler de réinvestissement massif dans le service public d’éducation, il n’a fait allusion qu’aux professeurs, comme si l’ensemble du réseau ne pouvait se passer d’autres corps de métiers. Est-ce là un avant-gout de sa stratégie pour empêcher la formation d’un front commun lors des négociations du secteur public? À voir.
Quoi qu’il en soit, il semble clair que le premier mandat de Legault a été marqué par la pandémie et son assise politique, mais le second sera marqué par des attaques soutenues contre le monde du travail et les droits démocratiques. Dès les premières heures, il a fermé la porte à toute réforme du mode de scrutin pourtant réclamée par tous sauf les Libéraux. Il a tenté de séduire sa base la plus nationaliste en centrant le débat autour d’un bras de fer entre Québec et Ottawa au sujet de l’immigration. Pendant ce temps, les écoles manquent de ressources et les urgences débordent, ce qui servira de prétexte à des solutions populistes misant sur la marche forcée vers leur privatisation. Économiquement, les quelques centaines de dollars à distribuer avant Noël soit-disant pour atténuer les effets de l’inflation permettront de masquer le fait qu’outre défendre les intérêts du Québec.Inc, la CAQ n’a aucune vision économique à long terme. Les travailleur-euses en paieront la facture lorsque la récession sévira.
Quelle opposition?
En termes statistiques, les autres partis d’opposition, conservateurs inclus, sont à égalité si l’on prend en compte les suffrages exprimés. À peine 3% séparent les 15,4% obtenus par Québec solidaire et les 12,9% du Parti conservateur. Pourtant, le Parti libéral forme l’opposition officielle malgré un nombre de votes inférieur à Québec solidaire et au Parti québécois. Avec respectivement 23, 11 et 3 élus pour un total de 35 sièges, les trois partis d’opposition représentés à l’Assemblée nationale n’arrivent même pas à la moitié des sièges ravis par la CAQ.
Politiquement, il s’agit d’une opposition d’accompagnement concentrée à Montréal. Aucune perspective ouvrière ne se dégage de l’un comme de l’autre des partis représentés à Québec.
- Tout au long de la campagne, Québec solidaire a cherché à rassurer le patronat et le convaincre qu’il représente une alternative crédible à la gestion du capitalisme. Au lieu de faire campagne sur des thèmes chers à la classe ouvrière et de lui proposer des perspectives de lutte, la formation « de gauche » s’est contentée de mobiliser autour de questions de société à travers un prisme inoffensif pour la classe dirigeante. Ainsi, les deux seuls gains pour Québec solidaire ont eu lieu à Montréal et ce, dans des circonscriptions initialement libérales. Inversement, le parti a perdu la circonscription de Rouyn- Noranda. Évidemment, il est difficile de convaincre les travailleur-euses de voter à nouveau pour un parti qui n’exclut pas la fermeture ou alors la réduction des activités (donc une mise à pied temporaire ou partielle) de la seule fonderie de cuivre au Québec et d’une industrie structurante pour l’emploi de la région… Lors de son discours électoral, Gabriel Nadeau-Dubois n’a pas hésité à tendre la main à François Legault, affirmant qu’il serait prêt à collaborer avec lui sur les questions environnementales. Se voulant une opposition « vigilante » et « constructive », il a ainsi donné le ton : ceux et celles qui espèrent une opposition combattive n’ont qu’à aller voir ailleurs. Sans grande surprise, QS a perdu environ 13 000 votes, mais pour ses stratèges, il s’agit d’une retraite tactique pour assimiler encore plus le parti à la politique bourgeoise.
- Malgré seulement 3 sièges, le Parti québécois n’est pas mort. Selon les sondages, son chef Paul Saint-Pierre-Plamondon arrive en tête de ceux qui ont fait la meilleure campagne. Dans plusieurs circonscriptions, il se hisse en seconde position. En plus d’être l’un des partis comptant le plus de membres actifs (plus de 42 000), il est un des rares qui peut se targuer d’avoir ravi une circonscription à la CAQ avec l’élection de son chef dans l’est de Montréal. Ceci prouve que la question nationale et celle de l’indépendance en particulier ne sont pas désuètes. Malgré une tentative de séduction du patronat (notamment avec la proposition d’inciter les personnes retraitées à retourner au travail plutôt que d’appeler à une bonification des pensions de retraite), le PQ ne fait plus le poids devant la recomposition politique commandée par les monopoles personnifiée par la CAQ.
- On pourrait en dire autant du Parti libéral à cette différence près qu’après avoir tenté d’étendre son influence au-delà du vote anglophone, sa cheffe Dominique Anglade a rapidement compris le rôle qui lui était assigné par le capital : constituer le pendant anglophone et multiculturaliste de la CAQ. Les membres de ce parti, pour ne pas dire les monopoles qui l’appuient, auront le dernier mot, mais il reste que lui aussi est en perte de vitesse, en particulier sa cheffe trop radicale pour une frange de cette organisation. Au final, pecunia non olet. Qu’il soit francophone ou anglophone, l’argent n’a pas d’odeur. La CAQ semble l’avoir compris plus vite que le PLQ.
- Quant au Parti conservateur, son chef Éric Duhaime peut se targuer d’avoir fait passer sa formation d’à peine 1% à presque 13%. Dans plusieurs comtés, notamment autour de Québec et en Beauce, ce parti d’extrême-droite a donné quelques sueurs froides à la CAQ. Il s’agit en fait d’une victoire orchestrée par le patronat et les médias à sa solde qui en font un repoussoir pour canaliser la colère d’une partie des masses populaires et de secteurs de la petite-bourgeoisie en phase de déclassement. À leur égard, les Conservateurs ont fait miroiter l’illusion d’un capitalisme qui leur serait prospère, n’eut été des mesures sanitaires, des investissements publics dans l’économie, etc. Avec un discours principalement axé autour des libertés individuelles supposément brimées par le gouvernement Legault lors de la pandémie, ils ont également attiré plusieurs personnes qui, dans d’autres circonstances, ne se seraient jamais approchées de ces idées d’extrême-droite, y compris des jeunes et des personnes racisées. On verra toutefois si ce populisme tiendra la route…
Au final, François Legault n’a pas seulement gagné le pari de l’urne, mais aussi celui de la recomposition politique souhaitée par la classe dirigeante. Il domine l’Assemblée nationale avec son parti, mais aussi à travers une opposition essentiellement légitimiste. Entre le Parti libéral, QS et le PQ, les différences ne sont que cosmétiques. D’un autre côté, il fait monter Éric Duhaime – cet agent de liaison de l’USAID en Irak – comme repoussoir et figure d’opposition extra-parlementaire.
Le seul moyen de l’empêcher d’avoir les coudées franches est de bâtir, puis d’intensifier la lutte autour des questions socio-économiques et d’y engager nos syndicats, nos organisations démocratiques et populaires et ce, de façon indépendante de tout parti politique. Le front commun des salariés du secteur public au printemps prochain en sera un évènement-clé. Ce sera d’autant plus le cas que la récession prévue sera sciemment utilisée pour faire chanter les travailleur-euses, mais aussi pour liguer la population contre les employé-es du secteur public.
Cette bataille donnera le ton pour l’ensemble du mouvement syndical et de la classe ouvrière. Soit elle sera corporatiste et cherchera la collaboration, soit elle sera combattive et stimulera d’autres luttes au potentiel éminemment politique. Il n’y a pas de troisième voie.