Comme à la mode Harper avec ses projets de loi Mammouth si massifs que la discussion démocratique devient impossible, le projet de loi 15 de la CAQ est l’un des plus volumineux à avoir été présenté à l’Assemblée nationale avec ses 1180 articles. Il prévoit entre autres scinder le ministère de la Santé en deux pour créer une agence, Santé Québec, qui serait responsable de la gestion quotidienne des services de santé. Il prévoit également de fusionner les unités d’accréditation syndicale. De 4 syndicats pour chacun des 13 Centres intégrés de santé et de services sociaux (CISSS) et des 9 Centres intégrés universitaires de santé et de services sociaux (CIUSSS), il y aura seulement 4 syndicats en santé pour l’ensemble du Québec : soit un syndicat panquébécois pour chaque catégorie de personnel.
La CAQ prétend que cette nouvelle structure aidera à rendre plus de soins dans des délais raisonnables à la population, mais ce n’est qu’un odieux mensonge. Le projet de loi de 15 a pour véritable objectif de privatiser davantage le système de santé et de continuer le grand projet caquiste de centralisation de l’État et d’effritement démocratique.
Le système de santé en crise
La crise du système de santé est bien réelle : conditions de travail inhumaines, temps supplémentaires obligatoire, manque de personnel, établissements vétustes, manque de services, condition de soins et de vie en CHSLD indignes, temps d’attente interminable, manque de lits, urgences qui débordent, absence de services essentiels en région et dans les communautés autochtones… La liste des problèmes est aussi longue que celle des histoires d’horreur que doivent vivres patient-e-s, résident-e-s et travailleurs et travailleuses.
Au sortir de la pandémie — dans la mesure où on estime en être sortis —, c’est un système de santé encore plus désastreux qui émerge. Temps d’entente, conditions de travail et de soins, et accès aux soins n’ont fait que ce détérioré. Encore récemment, une centaine d’infirmières menaçaient de démissionner en bloc en raison de leur condition de travail. Une réforme majeure est effectivement nécessaire, mais pas celle de la CAQ.
En fait, la CAQ ne fait pas de révolution avec le projet de loi 15, elle achève un projet de destruction de notre système de santé publique depuis longtemps mis en branle par les partis bourgeois.
En 2018, le PCQ déclarait que « La pénurie de personnel, notamment des infirmières forcées de faire du temps supplémentaire jusqu’à l’épuisement, les longues listes d’attente et la détérioration des services sont le résultat direct des coupes budgétaires et de l’imposition de ces mauvaises conditions de travail. » Cette analyse est toujours exacte en 2023.
Le cheval de Troie de la privatisation
Le projet de loi prévoit, dès son article 2, que les services de santé fournis par les établissements « peuvent être soit publics, soit privés ». Or, il n’y a aucune limite à la place du privé dans ces services, et aucune priorité au public. Sans nul doute, le projet de loi permettra au privé phagocyté le système public et d’instaurer une santé pour les pauvres, et une pour la bourgeoisie.
Malgré leurs protestations de façade, cette vision est aussi celle des libéraux comme des péquistes. Au pouvoir, ces partis ont toujours suivi la même ligne politique en faveur de la privatisation à chacune de leurs réformes, petites et grandes. Rappelons-nous que dès le début des années 80, le PQ s’est attaqué aux travailleuses et aux travailleurs des services publics en diminuant drastiquement leurs salaires et leurs conditions de travail à coup de décrets et de lois spéciales. Sous la direction de Lucien Bouchard avec le « déficit zéro », c’est le PQ qui a fermé des hôpitaux, réduit les lits d’hospitalisation disponibles et le personnel, et encouragé la sous-traitance et la privatisation. Du côté du Parti libéral, la réforme Couillard en 2003 et la réforme Barette en 2015 centralisaient toutes deux le système de santé en fusionnant des organismes de santé en mégastructures administratives, faisant du projet de loi actuel de la CAQ leur digne successeur. Ce sont les libéraux qui ont mis en place la contribution santé et tenté d’imposer un « ticket modérateur » pour l’accès aux soins de santé. Ce n’est pas étonnant qu’en 20 ans, les cliniques privées — dirigées à 75 % par des sociétés par actions — soient passées d’une poignée à plusieurs centaines.
La CAQ continue dans cette voie et retire toutes balises au privé. Elle se défend grossièrement de vouloir privatiser tous azimuts notre système de santé. Pourtant, il y a à peine quelques mois, le gouvernement a lancé des appels d’offres pour créer deux mini-hôpitaux privés à Québec et à Montréal en prétendant vouloir réduire la pression sur les urgences et de faire baisser les listes d’attente. Rappelons-nous aussi que ce même gouvernement a adopté sans débat public en pleine pandémie un décret modifiant de manière permanente la Loi sur l’assurance maladie pour laisser libre-court à la télémédecine privée. Depuis, la très lucrative industrie privée des soins virtuels se taille une place importante au Québec.
La privatisation du système de santé est une attaque frontale contre les travailleurs et des travailleuses. Les milliards de dollars de profit fait par les entreprises médicales se font non seulement sur le dos des personnes malades et au prix de leur souffrance, mais aussi sur le dos de l’ensemble de la classe ouvrière qui finance le système et se voit privée des soins auxquels elle a droit.
Anti-démocratique
Anti-démocratique, le projet de loi l’est tout autant sur le fond, que dans le processus d’adoption. C’est avec raison que plusieurs groupes populaires et communautaires se sont levés pour dénoncer l’insuffisance des consultations publiques, d’autant plus que le projet de loi est compliqué et volumineux.
Sur le fond, celui-ci prévoit mettre en place des cadres un peu partout qui serviront de bouclier à la responsabilité ministérielle. En effet, au lieu d’engager le personnel nécessaire qui offre des soins à la population, c’est l’embauche de cadres supplémentaires qui est prévue par le ministre Dubé. Ces cadres seront des exécutants de la nouvelle autorité hyper centralisée.
C’est aussi la démocratie syndicale qui est attaquée par le projet de loi 15. Pour s’assurer de désarmer l’opposition, la CAQ place les syndicats dans une position périlleuse en les jetant les uns contre les autres dans une bataille pour maintenir leur présence dans le secteur de la santé. Cette bataille à venir entre les syndicats est la conséquence de la fusion forcée des unités d’accréditation en déclarant la nouvelle agence de santé comme l’employeur unique en santé pour tout le Québec.
Ce n’est pas la première fois que ce type de fusion est imposé aux syndicats. Pensons à la réforme Couillard adoptée sous le bâillon en 2003. Celle-ci a eu de ses graves conséquences pour l’unité du mouvement ouvrier. Cette loi limitait à quatre le nombre d’unités de négociation dans chaque Centre de santé et de services sociaux malgré le fait que ceux-ci réunissaient plusieurs établissements, forçant ainsi la fusion des unités d’accréditation existantes. Le maraudage qui s’en suivit a laissé plusieurs cicatrices dans le mouvement ouvrier qui se font toujours sentir aujourd’hui. Le projet de loi 15 de la CAQ, qui fusionne lui aussi différentes unités d’accréditation, aura un effet tout aussi délétère et à long terme sur l’unité syndicale.
Il n’est pas anodin que le projet de loi 15 soit présenté en pleine négociation du secteur public. Les Centrales savent que dans peu de temps, elles devront s’affronter pour leur existence dans le secteur de la santé. La CAQ espère que la perspective proche de cette guerre fratricide fragilise l’actuel front commun.
Il est temps de se mobiliser
Le temps est à notre avantage. Le projet de loi ne pourra pas être adopté avant l’été puisque trop volumineux. Chaque article peut faire l’objet d’un long débat à condition que l’opposition fasse son travail à l’Assemblée nationale. Dans ce contexte, les centrales syndicales et les mouvements populaires ont la possibilité d’organiser une contre-offensive déterminante contre la réforme Dubé et par la même occasion, de revendiquer le système public auquel nous avons droit — s’ils en ont la volonté politique.
Communistes, nous revendiquons un refinancement massif dans les services publics, notamment celui de la santé. Nous demandons non seulement le renversement de la privatisation de notre système de santé, mais également l’abolition des PPP (partenariats publics privés), et surtout le monopole public sur tous les soins de santé, car il ne peut y avoir de service public sans monopole public.
Nous luttons pour une expansion du service public de santé de sorte que celui-ci soit universel, public et gratuit, mais également qu’il couvre tous les soins de santé, y compris les soins dentaires, oculaires et psychologiques.